Ce jeudi, nous poursuivons avec des sujets en cours depuis plusieurs jours.
Hier nous avons quitté Alain marchant sur la via de la Plata, alors qu’un chien surgissait d’un fourré.
Voilà le deuxième épisode de sa nouvelle « Santiago ».
SANTIAGO (2)
Je n’ai pas de bâton de marche pour me défendre, mais je me rends vite compte que ce n’est pas vraiment nécessaire, car il est plutôt du genre à vous lécher les mains qu’à sortir ses crocs. C’est un jeune chien, deux ou trois ans pas davantage, avec une robe noire au poil brillant et les pattes marron clair. Je ne sais pas le raccrocher à une race particulière, certainement un bâtard ! Il continue de marcher dans mes pas, marquant une pause quelquefois, prenant une dizaine de mètres de retard, puis revenant en courant pour reprendre sa place derrière moi. Il remarque alors Serge à une centaine de mètres devant et se met alors à courir jusqu’à lui, puis revient aussi vite vers moi en empruntant la voie de circulation. Je sens alors le danger, les voitures roulent vite, à tous moments il risque de se faire écraser. Je cherche à le chasser, lui montre l’accotement et les champs de sorte qu’il reparte d’où il est venu. Que nenni ! Il fait la navette entre Serge et moi, mais finit toujours par revenir dans mes pas. Plusieurs fois les voitures doivent freiner ou se déporter pour l’éviter, mais lui semble indifférent à tout cela. Je me dis alors que l’accident devient inévitable, une voiture le découvrira trop tard et ce sera pour lui la mort assurée. Je ne veux pas avoir à supporter une telle scène, je ne veux pas devoir garder de telles images de mon Camino ! Alors je lui crie dessus, je l’appelle avec les noms qui me viennent en tête, Médor, Snoopy, le nom de mon ancien chien, mais il ne réagit à aucun et continue à traverser et retraverser la route. Alors j’essaie un nom avec une intonation un peu plus méditerranéenne et je ne sais pourquoi, c’est « Santiago » que me dicte mon inconscient, certainement parce que c’est le but de ma pérégrination. Le manège continue, le chien fait ses allers-retours vers Serge, s’il y va le plus souvent par l’accotement, il ne sait revenir que par le beau milieu de la chaussée ; je fais signe aux voitures pour qu’elles ralentissent qu’il y a un danger et j’appelle : — « Santiago, Santiago… » Et là soudain, j’ai l’impression qu’il se passe quelque chose, qu’il réagit. Il se retourne, me regarde, semble même me comprendre. Peut-être est-il plus sensible aux tonalités du sud, aux noms un peu chantants. Dès lors il cesse ses allées et venues et vient se caler dans mes pas et à ne plus les quitter au point que je l’oublierais presque si je ne voyais pas son ombre trottiner à côté de la mienne. Tout en marchant, je lui parle doucement : — « beau chien Santiago, beau chien, gentil Santiago, gentil ». Nous parcourons ainsi plusieurs centaines de mètres. Soudain, me retournant Santiago n’est plus là ; il a disparu aussi rapidement qu’il avait surgi ; peut-être a-t-il couru après un lapin. Pour moi, peu importe la raison, voilà un gros souci en moins me dis-je et je vais pouvoir de nouveau laisser libre cours à mes pensées.
Un panneau annonce l’entrée prochaine dans le parc naturel avec toutes les recommandations d’usage par rapport aux risques d’incendie, à la préservation des lieux, aux règles de propreté et donnant des indications sur la faune et la flore que l’on va y rencontrer. Le paysage est constitué de grands espaces en herbes parsemés de chênes verts et de chênes lièges, partout des fleurs tapissent le sol, un décor champêtre calme et reposant. Le bitume de la route s’est transformé en un large chemin de terre rouge qui serpente entre les bosquets, épousant le relief, courant d’une colline à l’autre et traversé dans les points les plus bas par des ruissellements d’eau claire ; dans ce tableau bucolique l’eau est omniprésente, ici un étang d’un bleu azur dans lequel se reflète la végétation de ses berges, là une source où les animaux viennent s’abreuver, plus bas un ruisseau qui se perd dans les hautes herbes. Je croise des troupeaux de brebis, plus loin des porcs pata negra qui labourent le sol de leur groin pour y chercher des glands, leur nourriture favorite. Je me dis alors en moi-même : heureusement que Santiago m’a quitté car ici, au milieu de tout ce bétail, j’aurais certainement eu des difficultés à le raisonner. José me rejoint et nous cheminons ensemble jusqu’à Almaden de la Plata, devisant entre nous ; il me parle de son travail à la mairie de Madrid, de sa passion pour le foot, je lui raconte les différents caminos que j’ai parcourus et bien d’autres choses encore.
Qu’advient-il de Santiago, dont Alain pense n’avoir plus à se soucier ? Vous le saurez lors d’un prochain épisode.
Vous vous souvenez de l’énigme soumise par Jean Cheviet, le 24 avril dernier, concernant « une borne en position couchée, à demi recouverte par la végétation, d’environ 70 cm de hauteur, sculptée d’un croissant de lune et de quelques caractères runiques », découverte près de Manjarin.
Voici deux pistes à creuser.
Bruno Jacquey apporte
juste une supposition mais qui se tient. Je suis patricien de l’Institut de Géobiophysique Appliquée (IGA) à Mulhouse. Sur le chemin de Compostelle, je me balade toujours avec une baguette de sourcier pour repérer les lieux d’énergie. Les anciennes chapelles sur le Chemin sont souvent des centres d’énergie où le pèlerin pouvait y dormir mais aussi se ressourcer… (En énergie, pas seulement spirituellement).
Une borne de 70 cm peut facilement être une sorte de menhir si elle contient beaucoup de silicium (sorte de points d’acupuncture pour la terre) et si elle est placée au bon endroit.
On rencontre beaucoup de menhirs renversés car les bûcherons passent par là sans comprendre leur utilité ou si un membre de l’église y voit un lieu de culte païen (pas plus malin que le bûcheron).
Concernant les caractères runiques, Bruno précise qu’il ne
serait pas étonné que les dessins décrivent des croisements de source, de réseaux Hartmann / wiessman/ curry, des failles ou des cheminées telluriques positives pour négatives…
Claude Perrot estime que les caractères runiques
sont des symboles boréens, peut-être préceltiques.
Retrouvons maintenant Albert Camus pour un troisième petit extrait de « La Peste » : l’habitude
Nos concitoyens s’étaient mis au pas, ils s’étaient adaptés, comme on dit, parce qu’il n’y avait pas moyen de faire autrement. Ils avaient encore, naturellement, l’attitude du malheur et de la souffrance, mais ils n’en ressentaient plus la pointe. Du reste, le docteur Rieux, par exemple, considérait que c’était cela le malheur, justement, et que l’habitude du désespoir est pire que le désespoir lui-même.
Gardons confiance ! Le jour viendra – si tout ne va pas plus mal, ou si ça va un peu mieux – où nous n’aurons plus besoin d’attestation de déplacement dérogatoire !
et ci-dessous, la trente-cinquième étape de notre feuilleton quotidien « Péleriner confinés » par Denise Péricard-Méa.
Nicole
Péleriner confiné, étape n° 35
Charles VI, la dévotion du désespoir
C
harles VI (1368-1422) a hérité de son père une admiration pour Charlemagne et la dévotion à saint Jacques. Il en témoigna très tôt et tout le long de son règne marqué par une maladie mentale incurable, malgré soins, prières et pèlerinages.
Des décisions symboliques
Le 28 janvier 1389, le jour de saint Charlemagne, il redonne au « roi de France et empereur » la place qu’il occupait sous son père.
Il rappelle ainsi la volonté de Charles V de placer sa dynastie dans l’héritage de Charlemagne.
L’année 1389 est marquée par deux autres décisions :
Il institue un second « jour saint Charles », jour de sa translation, le 30 juillet.
Présent en Avignon il a accepté de figurer sur le tombeau gigantesque du cardinal de Lagrange qui y fait représenter la famille royale.
De ce tombeau, de 15 mètres de hauteur, ne reste qu’un dessin et de rares statues, dont, à mi-hauteur, celle de Charles VI agenouillé devant la Nativité. Il est présenté par saint Jacques, montrant sa dévotion à son égard.
1392 le drame
A la tête de ses troupes, Charles VI sort du Mans en août 1392 lorsqu’un vieillard se précipite devant lui et l’arrête « roi n’avance pas, car tu es trahi ». On le chasse. Plus loin, il est midi, la chaleur est torride, une lance tombe en faisant du bruit et réveille le roi somnolant sur son cheval. Il sort son épée et attaque tout son entourage, dont son frère. Il tue quatre cavaliers avant d’être ceinturé, ligoté et ramené à Paris où il reste inconscient pendant deux jours. C’est le début de trente années d’un règne jalonné de crises qui se rapprochent et s’aggravent au fil du temps.
Médecine ou prières pour guérir le roi ?
Dans les premières années s’est développée une lutte sourde au chevet du malade, opposant les médecins qui avaient la haute main sur les traitements et les religieux qui proposaient des neuvaines, sans aucun doute dans les sanctuaires pour les fous, du type Saint-Mathurin-de-Larchant où le malade était enchaîné jour et nuit au pied du saint guérisseur.
Ou à Bonnet (Meuse) dont les scènes des fresques du XVIe siècle, présentent les traitements proposés, exorcisme et enfermement.
Technicales médicales
Les meilleurs médecins se sont relayés à son chevet, 74 a-t-on compté. Ils connaissent la folie, mais la soignent comme ils peuvent. Ils auraient même pratiqué la trépanation, pour évacuer les « humeurs ». Au XIIe siècle, un médecin italien donne sa technique, illustrée bien plus tard par Jérôme Bosch (musée du Prado, Madrid) :
Tranchez le cuir au sommet du chef en croix, et faites un trou dans la tête, qu’on voie le cerveau. Liez fermement le fou. Guérissez la plaie…
Prières et pèlerinages
On envoie le poids de Charles VI, en cire, dans plusieurs sanctuaires spécialisés. Dès qu’une crise est passée, le roi se rend en pèlerinage à Notre-Dame de Paris ou à Saint-Denis. En 1394, il va au Mont-Saint-Michel, en 1395 à Notre-Dame-du-Puy, le jour de l’Annonciation le 25 mars.
Dès le début, un écuyer « pèlerin du roi », a sillonné le royaume avec une troupe de cavaliers. En 1395, il fait naufrage en revenant de Saint-Jacques et se retrouve sans le sou à Lille, « ayant perdu toute sa compagnie, ses chevaux et avoir ».
Il raconte qu’auparavant il est allé prier et porter des offrandes à
Notre-Dame de Trence (?), Saint-Nicolay de Warengeville (Lorraine), Saint-Thibault (Côte-d’Or), Saint-Martin (à Tours), Saint-Fiacre (en Brie), de Notre-Dame de Chartres, Saint-Julien du Mans, du Mont Saint Michel, de Notre-Dame du Puy en Auvergne, de Roche Madour (Rocamadour) ».
Le mal empire
En 1400, les médecins reconnaissent qu’ils n’y comprennent rien, ce qui est remarquable pour des savants réputés.
Les prières et pèlerinages n’ont pas eu plus d’efficacité.
Parallèlement, dans le royaume se multiplient les processions publiques pour prier pour la guérison du roi, le roi sacré qu’il est impossible de déposer.
Saint Jacques
Naturellement il se tourne aussi vers saint Jacques tout au long de sa maladie. C’est ainsi que les comptes de l’hôpital Saint-Jacques-aux-pèlerins mentionnent, en 1397,
le don du roi notre sire, le dimanche 28e jour de janvier, fête de S. Charles, quand il vint en pèlerinage à monsieur saint Jacques
La maladie s’aggravant, il va en pèlerinage à Saint-Jacques de la Boucherie. En 1411, il relève d’une longue « absence » qui durait depuis janvier :
Le 25e jour de juillet qui fut le jour de la fête de monseigneur saint Jacques, fut le roi notre Seigneur en pèlerinage en cette église.
Le 1er août 1414, à Saint-Jacques-de-la-Boucherie on
chante solennellement une messe pour le bien, état et santé de la personne du roi notre sire.
Et encore, en décembre 1414, le trésor royal verse 15 livres au vicomte de Gournay pour une offrande faite au doyen et chapitre de l’église de Saint-Jacques de Compostelle.
Faute de l’avoir guéri, saint Jacques l’attendait au bout de la Voie lactée en 1422, comme il en avait manifesté l’espoir dans la sculpture d’Avignon.
Denise Péricard-Méa
demain : Saint Jacques au bout de la Voie lactée
retour à la première étape : Jérôme Münzer part précipitamment de Nüremberg