Voici un deuxième épisode de la nouvelle «le paraplégique » d’Alain Humbert.
Hier Alain était déjà installé au gîte des bombeiros alors qu’arrivaient deux pèlerins dont l’un était en fauteuil roulant…
Le paraplégique (2)
Le bombeiro parti, je m’approche des deux hommes pour faire connaissance. Ils sont Portugais, ce qui ne m’avait pas échappé au premier abord en les entendant discuter avec le pompier, mais ils parlent également couramment ma langue me disent-ils. C’est mieux comme ça, car si j’ai quelques connaissances d’espagnol, en portugais mon savoir se limite à « obrigado (merci) » auquel je peux ajouter depuis ce soir « bombeiro ». Hier en arrivant à l’aéroport, voulant acheter un billet de métro, je me suis trouvé totalement impuissant devant un distributeur qui ne connaissait malheureusement que la langue de Ronaldo. C’est une dame de service, occupée à vider les poubelles de la gare, qui, voyant ma détresse est venue à mon secours. Obrigada lui ai-je-dit. Ils m’expliquent alors qu’ils sont Portugais, mais qu’ils ont, durant plusieurs années, travaillé en France dans une entreprise de maçonnerie ce qui explique leur maîtrise du français. Ce sont deux frères : Gorgio le plus âgé et Luiz qui est paraplégique depuis qu’il a fait une chute sur un chantier il y a deux ans ; les médecins lui ont avoué que sauf un miracle, il n’y avait pour lui aucun espoir de guérison. Très croyants, ils ont décidé tous deux de faire le Camino depuis Lisbonne, où ils habitent, en passant par Fatima pour atteindre Santiago puis poursuivre jusqu’à Lourdes. Le défi me laisse coi.
Je crois connaître assez les Chemins pour savoir à quoi ils doivent s’attendre sur celui-ci : parfois des sentiers étroits où il n’y a que la largeur de nos pas, quelquefois des éboulis sur une pente abrupte, ailleurs de profondes ornières remplies d’eau qu’on ne peut traverser sans remplir nos godillots. Je me dis que ce pari est fou, que ce qu’ils envisagent est tout simplement impossible, que ça relève de l’utopie. Dans l’instant, je ne leur fais pas part de mes impressions pour ne pas les décourager, mais ils ont bien vu aux mimiques que je n’ai pas su dissimuler ce que je pensais de leur projet. Sans attendre que je leur fasse part de toute ma perplexité, ils m’expliquent que ce qu’ils envisagent est tout ce qu’il y a de plus sérieux, qu’ils ont étudié le parcours dans les moindres détails, rencontrés des pèlerins qui l’avaient fait, consultés internet et tous les Google : street, view, earth et qu’ainsi, ils ont pu établir une carte, leur carte, celle qui évite les passages infranchissables partout où il y a une alternative par la route. Gorgio a pris une année sabbatique, c’est lui qui remplacera les jambes de Luiz. Il poussera quand Luiz n’aura pas la force de tourner les roues de son fauteuil, il portera lorsqu’il faudra franchir un ruisseau. Là je comprends mieux, mais persiste à penser qu’il s’agit d’un véritable challenge d’autant que le fauteuil est tout ce qu’il y a de plus basique, semblable à celui qui apparait sur la première page du site Amazon si on tape « fauteuil roulant pas cher ». Après leurs explications et la conviction avec laquelle ils accompagnaient leurs propos, j’en arrive maintenant à penser qu’ils peuvent le faire, qu’ils peuvent réussir.
Cette nuit j’ai dormi comme un loir. J’en avais besoin après une dernière nuit un peu bruyante suivie d’une étape d’une trentaine de kilomètres. C’est le soleil qui me réveille ; la salle de sport n’est équipée ni de volet ni de rideau alors en ce début d’été, dès 5 heures du matin, il y fait grand jour. Je me retourne pour regarder où en sont mes colocataires : surprise ils ont déjà levé le camp. En plus d’être organisés, ils savent être discrets, car je n’ai rien entendu. J’imagine alors que se donner de telles contraintes fait partie de leur projet « fou » ; tout est millimétré dans leur organisation.
Une étape, en tous points semblable à celle d’hier, de larges chemins blancs en bordure du Tage et partout des paysans occupés à repiquer des plants de tomate dans d’immenses champs qui s’étendent jusqu’au fleuve. Aujourd’hui Gorgio et Luis n’ont pas dû rencontrer beaucoup de difficultés pensai-je. Je ne les ai pas rencontrés sur le chemin, pas davantage lorsque je vais chez les bombeiros pour chercher un hébergement.
Là je suis reçu par un jeune pompier bénévole qui me dit que leur caserne n’accueille plus les pèlerins. J’en tombe des nues ! Je lui dis que je ne comprends pas, que notre guide indique que les bombeiros d’Azambuja offrent l’hospitalité aux pèlerins. Il se lance alors dans un long monologue dans lequel je suis loin de tout saisir, mais je comprends tout de même que cette règle est récente et serait due au fait que des pèlerins indélicats leurs auraient volé leurs casques d’apparat. Là je comprends mieux, je comprends également pourquoi je ne vois pas Gorgio et Luis ; ils ont dû avoir la même réponse et auront cherché un gîte ou un petit hôtel.
Je ne les retrouverai que quelques étapes plus loin, à Fatima.
A suivre…
Pour terminer, Danielle Brun-Vaunier transmet un nouveau cahier du Pèlerin, rempli de témoignages et conseils pratiques : « marcher pour franchir un cap ».
Et Jean-Claude Simard propose quelques quizz de lecture de cartes pour « vous distraire, enfin, je l’espère, sans que cela soit une prise de tête pour vous« .
Ci-dessous, la quarante-et-unième étape de notre feuilleton quotidien « Péleriner confinés » par Denise Péricard-Méa.
Nicole
Péleriner confiné, étape n° 41
Le miracle de la possédée d’Oviedo
Ê
tre possédé, au Moyen Age signifie ne plus se conformer aux usages d’une société dans laquelle la libre expression n’existe pas. Quelqu’un qui blasphème ne peut qu’être habité physiquement par une force du Mal qui s’oppose en permanence à Dieu. Il est possédé du Diable, du Démon, de Lucifer… Satan.
Et c’est ce Mal qui crache des horreurs par la bouche du malade. D’où l’idée de le faire taire en serrant le cou du malade, avec un linge.
La légende de saint Jacques, reprise par la Légende dorée montre qu’il a été capable de vaincre les démons envoyés par ces puissances du mal.
Un texte remarquable, daté de la fin du XIIe siècle, met en scène le Diable en tant que personne physique et les luttes acharnées que l’Eglise mena pour délivrer une jeune fille de Toulouse souffrant de possession. Il montre comment saint Jacques a « man-œuvré » pour obtenir le succès.
Née de relations illégitimes, elle fut maudite par sa mère avant sa naissance (« maudite », du latin maledicere = male+dicere, mauvais+dire = tenir des propos mauvais), puis donnée au Diable à l’âge de sept mois.
Le résumé de la dramaturgie qui se déroule sous nos yeux est un condensé de scènes classiques d’exorcisme
Le Diable élève l’enfant, pendant 16 ans. Il lui fait mener une vie digne d’une reine. Alors qu’il arrive avec sa protégée dans une abbaye près de Jaca (San Juan de la Peña ?), il la laisse seule un moment pendant qu’il entre pour tourmenter les moines.
Profitant de cette absence, saint Jacques surgit, prend la main gauche de la jeune fille et avec l’ongle imprime sur son majeur le signe de la croix.
A son retour, le Diable voit ce signe et s’exclame :
Saint Jacques est passé par là !
Il pénètre dans le corps de la jeune fille qui se met à hurler. Aux moines accourus, le Diable hurle par la bouche de la jeune fille :
Elle est mienne, je l’ai nourrie et soutenue. Pourquoi devrais-je la perdre ? Je ne la laisserai jamais.
Les moines la prennent cependant mais le Diable revient et le dialogue reprend :
En aucune manière je ne l’abandonnerai à moins que le Sauveur ou saint Jacques, qui me l’a prise, ne me l’aient ordonné.
Incapables de délivrer la jeune fille, les moines la gardent, espérant que le Diable se lassera de lui-même. Double signe de possession, la possédée continuait à se nourrir d’herbes crues et ne mangeait que très peu ou pas du tout de pain.
Au bout d’une année, les moines l’envoient demander sa guérison au saint Sauveur ou à saint Jacques. Elle prit sa besace et son bourdon et se mit en route pour Oviedo qui possédait des reliques de la Croix et de saint Jacques.
A Santayana (Saint Jagon), elle rencontra cinq chevaliers qui lui donnèrent chacun un pain qu’elle donna en aumône en mémoire des cinq plaies du Christ. En chemin, elle passa cinq ponts et sur chacun elle fut tentée par le Diable de se jeter à l’eau. Mais les cinq aumônes la protégèrent de cette tentation.
Arrivée à Oviedo, elle entre dans l’église et se prosterne devant les saintes Reliques. Face au Malin, le chanoine gardien des reliques jette son étole sur la jeune fille en intimant l’ordre au démon de la quitter. A moitié étouffée la jeune fille gémissait :
J’étouffe, j’étouffe !
Voyant le corps gonfler, le chanoine desserre l’étole, ce qui permet au Diable de retrouver sa voix et de menacer de dénoncer les mauvaises actions de tout l’entourage, du plus riche au plus pauvre. Le chanoine renonce.
L’archidiacre ordonna que l’on apporte la Croix des Anges. D’habitude, le Malin fuit devant la Croix. Mais ce jour-là il refusa et la malheureuse recommença à étouffer. Sa bouche se remplit de fiel, elle ne pouvait plus parler. On éloigna la relique pendant que le diable criait, sans oser nommer la Croix :
Sors-moi çà de là, sors-moi çà de là !
Devant cette obstination, l’archidiacre ordonna alors une lecture de l’Evangile, lecture insupportable au Diable qui, toujours par la bouche de la jeune fille se mit à parler très vite, de façon incompréhensible. Une multitude d’enfants attirés par le spectacle crièrent alors sur le conseil de l’archidiacre qu’il devait quitter la possédée.
Terrorisé, le démon gémit :
Ces voix me torturent !
L’archidiacre intime :
Donne-là à saint Jacques
Et là, devant les reliques de saint Jacques, le Diable commence à céder. Une première fois, il part en proférant des menaces et en aboyant à la mort. La possédée reste comme morte. On la ranime et la ramène devant l’autel du Saint Sauveur. Saisie de nouveau par le démon, elle s’échappe par les airs et retombe sur le pavé, battue par le Malin qui criait et répétait qu’elle était à lui.
Après des aller-retours de l’autel du Saint-Sauveur à celui de saint Jacques, après plusieurs étouffements, après avoir mordu l’archidiacre, le Diable finit par sortir définitivement en lançant un terrible aboiement.
La jeune fille cessa de manger des herbes crues et mangea du pain et des aliments dont se nourrit la nature humaine.
Elle partit alors pour Saint-Jacques, Sainte-Marie de Rocamadour et Saint-Thomas de Cantorbery, puis vers Jérusalem et le Saint-Sépulcre.
Emprunta-t-elle cette porte des pèlerins ?
Pour en savoir plus
Vasquez de Parga…, Las peregrinaciones a Santiago de Compostela, éd. 1993, t. III, doc. 91, p. 148-154
Si quelque latiniste veut se mettre à traduire les 5 grandes pages du texte, ce serait une belle œuvre.
Denise Péricard-Méa
demain : Deux royales amours espagnoles
retour à la première étape : Jérôme Münzer part précipitamment de Nüremberg