Les animaux malades de la peste

Un zeste d’humour, littérature, esprit critique et de belles destinations à retrouver ou à prévoir, pour plus tard…. voilà le programme du billet du jour.

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Retrouvons notre sérieux avec le  « covid 19 », toujours présent mais qui, un jour peut-être, s’éloignera définitivement.

 Voilà un quatrième et dernier extrait de « la peste » de Camus :

À la vérité, il était difficile de décider qu’il s’agissait d’une victoire. On était obligé seulement de constater que la maladie semblait partir comme elle était venue. La stratégie qu’on lui opposait n’avait pas changé, inefficace hier et, aujourd’hui, apparemment heureuse. On avait seulement l’impression que la maladie s’était épuisée elle-même ou peut-être qu’elle se retirait après avoir atteint tous ses objectifs. En quelque sorte, son rôle était fini. On peut dire d’ailleurs qu’à partir du moment où le plus infime espoir devint possible pour la population, le règne effectif de la peste fut terminé. Il n’en reste pas moins que, pendant tout le mois de janvier, nos concitoyens réagirent de façon contradictoire. Exactement, ils passèrent par des alternances d’excitation et de dépression

Et à la fin du roman, quand la ville commence à revivre et à propos du docteur Rieux :

Il avait seulement gagné d’avoir connu la peste et de s’en souvenir, d’avoir connu l’amitié et de s’en souvenir, de connaître la tendresse et de devoir un jour s’en souvenir .


Mais avant d’en sortir, Antoine Robin nous fait parvenir un courrier

pour les quelques jours de confinement (espérons …) qu’il nous reste à passer d’ici le 11 mai. En des circonstances similaires à ce que nous vivons voici ce que Madame de Sévigné écrivait à sa fille Madame de Grignan

Jeudi, le 30ème d’avril de 1687

Surtout, ma chère enfant, ne venez point à Paris !
Plus personne ne sort de peur de voir ce fléau s’abattre sur nous, il se propage comme un feu de bois sec. Le roi et Mazarin nous confinent tous dans nos appartements.
Monsieur Vatel, qui reçoit ses charges de marée, pourvoie à nos repas qu’il nous fait livrer.
Cela m’attriste, je me réjouissais d’aller assister aux prochaines représentations d’une comédie de Monsieur Corneille « Le Menteur », dont on dit le plus grand bien.
Nous nous ennuyons un peu et je ne peux plus vous narrer les dernières intrigues à la Cour, ni les dernières tenues à la mode.
Heureusement, je vois discrètement ma chère amie, Marie-Madeleine de Lafayette, nous nous régalons avec les Fables de Monsieur de La Fontaine, dont celle, très à propos, « Les animaux malades de la peste » !
« Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ».
Je vous envoie deux drôles de masques ; c’est la grand’mode, tout le monde en porte à Versailles. C’est un joli air de propreté, qui empêche de se contaminer,
Je vous embrasse, ma bonne, ainsi que Pauline. »

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« Belle écriture, non ? » s’exclame Antoine.

Agréable  pastiche surtout, écrit par un certain Jean-Marc Banquet d’Orx et publié  comme « poisson du 1er mai » sur le site baskulture.com, lettre du pays basque.

Quelles pistes pour découvrir la supercherie ? Mazarin était mort en 1661, et il n’y eut pas d’épidémie de peste en 1687….

Comme quoi, il ne faut pas prendre pour argent comptant tout ce qui circule sur le Net !

Ce faux fort bien tourné pourrait-il donner l’envie  de (re)découvrir la Marquise de Sévigné et les fables de la Fontaine ?


Après ce petit moment de réflexion, passons à une révision ludique proposée par Madeleine Griselin :

Ça n’a rien à voir avec Compostelle, c’est un quiz photo pour ceux qui n’ont pas manqué, en plus de marcher sur les chemins de Compostelle, de parcourir notre belle France.

(Essayez, moi j’ai gagné une sucette)


et ci-dessous, la trente-neuvième étape de notre feuilleton quotidien « Péleriner confinés » par Denise Péricard-Méa.

Nicole


Péleriner confiné, étape n° 39

Compagnonnage et pèlerinage à Compostelle

Maître Jacques

Tout autant que l’alchimie, les relations entre le tour de France des Compagnons, considéré comme un voyage et cet autre voyage qui est le pèlerinage à Saint-Jacques sont souvent évoquées. On rapproche aussi souvent le nom de saint Jacques et celui de l’un des fondateurs légendaires des Compagnons du Devoir, Maître Jacques.

 » Les fantaisies ésotériques qui en résultent apaisent sans doute le besoin de mystère et de secrets initiatiques mais s’éloignent de la vérité  » (L. B.) au sens où peut l’entendre un historien, s’appuyant sur des textes.

Textes de vécu de compagnons

La serrure au musée d’Avignon

En 1950, Roger Lecotté, fondateur du musée du compagnonnage de Tours, appelait l’attention, pour la première fois,  sur une serrure conservée au musée d’Avignon. Serrure dite du XVIe, datée aujourd’hui du XVIIe.
Il remarquait des

éléments qui pourraient être compagnonniques […] un pèlerin (peut-être St. Jacques, patron des pèlerins, des « passants » et du Compagnonnage) avec bourdon en dextre, chapeau orné de coquilles et gourde en bandoulière.

Une première fois bien tardive. D’où lui était venue cette idée ?

Livre d’Agricol Perdiguier

Roger Lecotté a peut-être été influencé par une lithographie de Perdiguier (photo en-tête de cet article). En outre, son aura  dans le monde des compagnons lui a permis d’énoncer une vérité première malgré le manque de preuves.
Pourtant, Agricol Perdiguier, le compagnon auteur du Livre du compagnonnage en 1839, ne fait aucune allusion à saint Jacques.

Le roman de Georges Sand

Pas plus que George Sand dans son roman Le compagnon du tour de France, inspiré par Avignonnais-la-Vertu, compagnon  menuisier  (Perdiguier) , dont elle dit qu’il prit pour tâche de réaliser la devise  » Aimons-nous les uns les autres  » de Jean, frère de Jacques.
Adopter saint Jacques le Majeur comme inspirateur du Devoir pourrait être justifié par la fameuse phrase de son Épître (étape 38) « sans œuvres la Foi est morte ». Et par le fait que, comme les pèlerins, il protège les voyageurs. Ne porte-t-il pas, comme eux, la canne (le bourdon) et la gourde ?
Cette hypothèse fut reprise, copiée, déformée, amplifiée, contestée jusqu’à mélanger pèlerins de Compostelle et  Compagnons avec les Celtes, les Templiers, les alchimistes (étape 38), etc.

Textes romancés

En 1957, le Compagnon Raoul Vergez, dans La Pendule à Salomon voit dans le chrisme, présent sur la façade des églises pyrénéennes LE « signe du chemin de Compostelle ». Mais c’est un roman. Il est suivi par Louis Charpentier qui, lui, n’est pas plus compagnon que Templier mais vit des mystères du monde. Dans Les Jacques et le mystère de Compostelle, en 1971 il établit un lien catégorique entre les bâtisseurs de cathédrales, les Compagnons du rite de Maître Jacques et le voyage à Compostelle.

Un avis autorisé

Pour ces articles, en particulier ce paragraphe, j’ai travaillé avec une sommité en la matière, Laurent Bastard, ami de Lecotté puis conservateur du musée du compagnonnage de Tours. Il a bien voulu m’aider à mettre à jour et résumer un article qu’il avait confié à la Fondation David Parou Saint-Jacques en 2006.
Il m’a permis de surmonter les difficultés d’interprétation de tant d’éléments épars dont beaucoup sont seulement pressentis et de comprendre la légende qui en est née.

Maître Jacques est en effet le fondateur légendaire d’une partie des Compagnons du Devoir. En 1731, le rituel des tourneurs de Marseille mentionne un Maître Jacques, mais sans plus. Un rituel des années 1800-1820, celui des compagnons tanneurs-corroyeurs du Devoir s’ouvre par cette invocation mystérieuse :

A vous tous, bons enfants
Respectez le Levant
D’où sort notre origine
Et Jacques d’Orient
Célèbre par ses talents
Mort dans la Palestine

Le mot saint n’est pas prononcé. Ce Jacques d’Orient, les Croisés l’ont rapporté, avec des légendes qui sans doute ont servi à étayer celle des apôtres Jacques.

De Maître Jacques à saint Jacques

Il n’est pas question d’aborder ici la vaste question du personnage de Maître Jacques, mais de souligner ses rapports avec saint Jacques.

Sa légende se construit après la Révolution, au moment où se recomposent les sociétés compagnonniques à partir d’alliances et de hiérarchies. La fondation par un personnage légendaire (Me Jacques, le Père Soubise ou Salomon) prend une importance considérable.

Le génie de Perdiguier a été de pressentir, sans qu’aucun de ses écrits ne l’atteste, que saint Jacques ait été l’archétype de Maître Jacques. En 1863, il crée une lithographie (photo en-tête de cet article) sur laquelle il fait la synthèse des sources qui ont conduit à Me Jacques.
Si saint Jacques n’y apparaît pas, il s’inspire pourtant de ses représentations pour dresser le portrait du Maître.

Statue de saint Jacques Saint-Jean de Luz (cl. J-P Dupin)

Laurent Bourcier, compagnon pâtissier, Reste Fidèle au Devoir, voit dans cette lithographie de Me Jacques une ressemblance avec le saint Jacques de la mairie de Saint-Jean-de-Luz qu’il a pu connaître. Jugez-en.

Une hypothèse est que Me Jacques se soit substitué à saint Jacques au XVIIe siècle lorsque l’Église condamna le caractère sacrilège et blasphématoire des rites de réception des Compagnons. Il fallait lui échapper.

Mais tous ne sont pas d’accord. En 1982, Henri Vincenot, dans Les Étoiles de Compostelle, sous couleur d’histoire, affirme que le chemin de Saint-Jacques est initiatique et que son parcours confère la Connaissance. Comme Charpentier il distille l’idée d’une récupération par l’église d’un chemin païen et n’assimile pas saint Jacques à Maître Jacques.

Jacques : nom donné aux Compagnons Constructeurs Enfants de Maître Jacques […] Il n’a aucune parenté avec un saint Jacques, majeur ou mineur.

Un texte semble le contredire, mais il ne concerne qu’un compagnonnage de métier. En 1782, la police de Troyes recherche, dans une auberge de la ville, « une boîte appelée Maitre Jacques » laissée par « les compagnons mégissiers ».
Suit la description de cette boîte :

Sur le couvercle d’icelle, trois figures dont celle du milieu représente un saint Jacques pellerin, pour quoi lesdits compagnons l’appelaient Maître Jacques.

Le pèlerinage à Compostelle, une pratique initiatique des compagnons ?

Portail de la Gloire rénové (cl. M. Taïn)

Au portail de la Gloire (XIIe siècle), à Compostelle, saint Jacques le Majeur est appuyé sur une canne entourée d’une longue pièce de tissu brodée aux deux extrémités. Serait-ce la canne des Compagnons ?
Mais… la plus ancienne attestation de cannes compagnonniques enrubannées date de la mi-XVIIe siècle.

Saint Jean, le frère de Jacques, à sa gauche porte son Évangile, comme Paul, à sa droite, porte ses Épîtres. Pourquoi saint Jacques ne porterait-il pas la sienne, lue si souvent à cette époque dans sa cathédrale même ? Ne donne-t-il pas l’impression de la montrer à Jean ?

La plus ancienne référence à saint Jacques dans un rituel date de 1674, lors de l’interrogatoire d’un Compagnon chapelier à Genève :

Par quel chemin es-tu passé ?
– par le chemin croisé
– de quoi était-il croisé ?
– du bourdon de St Jacques

Un siècle plus tard, vers 1763, des Compagnons fréquentent le chemin de Compostelle. Jacques Louis Ménétra, Compagnon vitrier du Devoir, l’affirme dans Journal de ma vie :

Comme j’étais en argent étant à Toulouse il me prit envie d’aller à Saint-Jacques. Nous partîmes trois de compagnie […] Comme nous étions […] sortis de Saint-Jean-Pied-de-Port […] nous vîmes arriver des compagnons qui en revenaient et qui étaient dans un état minable. Je demande au l’Angevin et au l’Agenais qui étaient mes camarades de voyage dont l’un était ferblantier et l’autre coutelier, de ne pas aller plus loin, et nous retournâmes à Bayonne.

Dans son manuscrit, il ajoute : « Quoi que je fus jamais trop dévot ». Il n’envisage pas le pèlerinage animé d’une grande foi ; goût de l’aventure ?

En 1864, le grand-père de Pierre Calas, un compagnon cordier du Devoir, lui a laissé une chanson datant de son propre tour, vers 1794. Mais quelle est la part due à la mémoire ou à l’imagination de son petit-fils, bien connu comme auteur de « belles histoires » dans la littérature compagnonnique des années 1880 ?

Nous faisions bénir nos couleurs
A Saint-Jacques en Galice […]
Nous changions la canne en bourdon,
Et l’eau bénite en roussillon

Au XIXe siècle, saint Jacques, patron traditionnel des compagnons chapeliers du Devoir, est le patron des chapeliers d’Avignon.

Au musée du compagnonnage de Tours, un vitrail de Me Jacques daté de 1975, est inspiré de la lithographie de Perdiguier et approuvé par R. Lecotté. Il y est ajouté une coquille preuve que l’assimilation est faite. Pour se tenir au strict point de vue de l’histoire, les recherches actuelles, loin d’être abouties, permettent d’affirmer que, même si quelques-uns ont pu se rendre à Saint-Jacques de Compostelle, ce pèlerinage n’était pas une pratique identitaire des Compagnons du tour de France. Le « leur » (ou devenu tel) était celui de la Sainte-Baume en Provence…


L’accès à l’article de Laurent Bastard est disponible ici.


Denise Péricard-Méa
demain : Jacques I d’Aragon, Jacques Cœur, Jacques de Beaune
retour à la première étape : Jérôme Münzer part précipitamment de Nüremberg

Cette publication a un commentaire

  1. Danielle Brun-Vaunier

    Trop bien la nouvelle coquetterie !!

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