Fête de la Saint-Jacques 2023 – Châtenois – Mont Saint-Odile  

21-22-23 juillet 2023 – Châtenois (67) – Mont Saint-Odile  

Il fallait se lever tôt ce vendredi 21 juillet ; se présenter en forme et avec l’esprit clair au rassemblement du groupe formé par la délégation de l’AF-CCC en instance de départ pour ‘‘Châtenois’’ en Alsace, département du ‘‘Bas-Rhin’’ (67).
Le 25 juillet tombant malencontreusement en milieu de semaine, ce sera donc au cours de ce week-end étendu à trois jours que les ‘‘Amis de Saint-Jacques en Alsace’’ retrouveront leurs proches voisins (allemands, lorrains et franc-comtois) pour célébrer ensemble et de la plus conviviale des manières, la fête de la Saint-Jacques.  


1ère journée : vendredi 21 juillet  

Décollage à 7h30 ; une seule voiture bien chargée et quatre passagers traversent l’Alsace. Maigre détachement, mais ne comprenant que du beau monde ou presque : trois cadres influents du comité d’administration (dont Danielle notre présidente).  

Arrivée au C.C.A. (Centre de randonnée) vers 9h, dans la bonne fourchette pour éviter l’affluence et profiter pleinement et agréablement des retrouvailles avec les amis d’autres associations, de l’accueil avec un bon café, les viennoiseries… et bien sûr le kouglof.
Toutefois, avant de se répandre dans une annexe réservée aux libations et ripailles, il faut se rendre dans le bâtiment principal en fond de cour et satisfaire au protocole d’enregistrement des arrivées. Notre voiture étant garée à l’extérieur – pour favoriser les manœuvres de trois cars qui doivent arriver -, nous accédons, bagages en mains, au bureau de réception où officient trois préposées dressées à l’efficace et redoutable organisation germanique ; pas de place pour la pinaille !
Tout se passe en une minute puis, nantis d’une clé et pour chacun un godet en plastique plus un opuscule édité spécialement pour la durée du séjour nous partons à la recherche de notre appartement. Pour y parvenir : Ressortir et contourner le corps de logis, puis traverser un corridor, monter un escalier, parcourir un demi-étage, trouver un nouvel escalier, très raide – presque une échelle – pour accéder enfin à un balcon. Il dessert un alignement de portes numérotées.
Concours de circonstances heureux, l’une d’elle porte le même numéro que celui inscrit sur la clé que nous détenons et faisons jouer…  

La première surprise n’est pas des plus agréables. Située dans une remise fréquentée pour les occasions exceptionnelles, la piaule ne doit pas servir souvent et il y règne une odeur de renfermé prenante – pour ne pas dire repoussante – qui n’a rien d’engageant. Le premier réflexe est d’ouvrir promptement le velux et d’y faire entrer de l’air extérieur. Le second – record de promptitude -, est de réquisitionner le canapé meublant le balcon ; nous ne seront que trois à roupiller dans la carrée.  
La seconde surprise, extravagante, se découvre en prenant possession de la chambre enfin assainie. Meublée de deux cadres à lits superposés… Crénom ! Il n’y a pas d’échelle pour accéder au lit supérieur de l’un des deux meubles, ou plutôt si…, mais vu l’exiguïté de la turne, l’échelle est coincée contre la cloison. C’est effarant !
« Allez ! On dépose tout et on va boire un coup. En passant par l’accueil nous signalerons le problème. »
Au retour, une heure plus tard, l’équipe technique avait réussi l’exploit de manœuvrer les lits malgré l’espace restreint et retourner celui qui était en cause. Seulement, les étroites lattes servant de marches sont maintenant très près de la tête du dormeur du bas, ce qui est contraire aux usages. Stoïques, nous sommes rompus à faire face à bien des situations et parfois des plus ubuesques. Nous savons rester positifs et faire la bonne part des choses. Passons !  

Au milieu de 150 autres marcheurs qui poireautent, sacs au dos dans la cour, nous battons la semelle, piaffant d’impatience en attendant l’heure du départ de la randonnée du jour.
10h45, nous n’attendons plus. Après un court briefing exprimé, d’abord en français, puis en allemand pour l’imposant contingent germanique, la masse s’ébranle. Encadrés par des accompagnateurs répartis sur toute sa longueur, la cohorte s’engage en directions des remparts de la ville par la rampe qui monte face à l’église.  

Objectif de la marche du jour : Monter au sommet du ‘‘Hahnenberg’’, la colline contre laquelle s’appuie Châtenois ; soit environ 400 mètres de dénivelé. La couleur du ciel n’annonce pas une belle journée et il faut s’attendre à se faire un peu mouiller d’ici la fin de la balade. La température est agréable, sans chaleur.
L’ascension débute sans préambule, par un chemin qui traverse une étroite frange de vignes avant de pénétrer en sous-bois, s’avancer à travers chênes et hêtres qui feront place au fil de la montée aux châtaigniers et aux sapins. Des ronciers de bordure garnissent le flanc amont du passage. Côté aval, le rideau d’arbres ne cache presque rien du bourg et au-delà, Sélestat et la plaine jusqu’à la ligne ondulée profilant la forme pourtant très claire de la ‘‘Forêt Noire’’.  

Depuis le départ, la colonne s’est étendue, se déroulant sur plusieurs centaines de mètres et de l’arrière jusqu’à l’avant s’entendent des gazouillis hermétiques pour tous ceux qui n’entravent que dalle à la langue de ‘‘Goethe’’ : Les bruyants teutons parlent entre eux, les disciples de ‘‘Hansi’’ également et puisque les uns et les autres se comprennent, c’est un joyeux babillage qui s’élève dans le ciel d’Alsace.
En remontant la colonne, plus discrètement, de loin en loin se distinguent quelques mots de français ; plus souvent lorsque les alsaciens condescendent volontiers à commenter les particularités insoupçonnées ou méconnues, qu’elles soient, géographiques, historiques ou autres, inspirées par le déroulement de la randonnée.
Ainsi, à propos d’une déchirure dans le tissu de feuillage qui dévoile un pan de montagne où se dressent des murailles déchiquetées : « Là-bas, dans le Moyen-âge, pendant les épidémies de peste, tous les habitants étaient confinés, pas le droit de sortir, et il fallait pourtant trouver à manger. Alors, la nuit, les fromagers d’un côté, les habitants de l’autre, montaient en catimini jusqu’à la tour et là, les munsters changeaient de mains… »  

La montée est régulière et sans difficultés ; de nombreux arrêts émaillent le parcours. À chaque occasion intéressante, des rassemblements s’opèrent pour entendre dans les deux langages les explications savantes des locaux telles que « Pourquoi un téléphérique existait-il ici ? Parce qu’Il y avait une carrière et c’était pour descendre les pierres. »
C’est vrai, le sol est encore jonché de fragments de granit.
Il est plus de 13h lorsque la caravane atteint une plateforme, carrefour de nombreux chemins. C’est à cet endroit que nous sommes invités à déballer les repas tirés de nos sacs (selon l’expression consacrée). Un appentis refuge de petites dimensions – ‘‘l’abri Moerel’’ -, se dresse à proximité ; les francs-comtois sont parmi les premiers à investir table et bancs.

Une heure plus tard, nouveau rassemblement, pour relancer les machines et repartir dans l’autre sens en se recentrant sur Châtenois, mais toujours en poursuivant l’ascension. Après avoir parcouru les quatre kilomètres restants, la foule de pèlerins investit le sommet dégarni de la montagne qui culmine à 530 mètres d’altitude (selon le panneau indicateur).
Un mat dressé au point le plus élevé arbore un drapeau français forcé à rester déployé. Une ‘‘Tour Eiffel’’ – c’est ainsi qu’est baptisée une plateforme couverte reposant sur quatre jambes inclinées –, propose aux téméraires de gravir une douzaine d’échelons tubulaires pour venir huit mètres plus haut admirer la plaine d’Alsace.  

Descente par d’autres sentiers, toujours sous couvert forestier pour revenir au point de départ. Le ciel qui se faisait menaçant jusque-là, réalise dare-dare que nous approchons du but et que sa dernière occasion de doucher nos ardeurs, c’est maintenant ! Timidement d’abord, puis plus vivement, il déclenche l’ouverture de ses robinets. Bonjour pèlerines et parapluies (pour ceux qui en ont). C’était à prévoir, l’averse cesse lorsque la troupe aborde les premières maisons de Châtenois.

Retour au gîte, douches (l’eau est tout juste tiède) et repos. Visite au local des pèlerins où sont dressées des tables exposant plusieurs types d’articles à vendre (tee-shirts, topoguides, souvenirs, cartons de vins d’Alsace…) et, occupant une partie de l’espace, un bar improvisé au service des assoiffés… et ils ne sont pas rares à attendre agréablement l’échéance suivante.  

18h30 ; 3 bus attendent sur un parking voisin ; leur destination : ‘‘Epfig’’ village situé à 18 km plus au nord, où nous partons pour le repas du soir.
Les 150 personnes débarquent simultanément au ‘‘Restaurant Kirmann’’ qui les absorbe sans coup férir. Elles se répandent en se mélangeant d’abord – puis en se regroupant par ethnies ensuite – dans un vaste patio couvert d’une verrière, où sont disposées les rangées de tables courant d’un mur à l’autre dans les deux sens. Brouhaha garanti !
Très vite une armée de serveuses se coule entre les tables et l’apéro (Crémant, bière, picon…) est servi sans tarder.  

C’est maintenant que le bulletin spécial distribué à chacun au cours de l’accueil trouve tout son intérêt ; la grosse majorité des pages n’est qu’un répertoire de chant, et en premier : ‘‘Ultreia’’, le chant des pèlerins avec des couplets en français et les mêmes, traduits en allemand.
Quoi de plus normal que de commencer par celui là ? Une chorale des ‘‘Amis de Saint-Jacques’’ se forme, trouve sa place en tête de l’auditoire et un accordéon donne le ton. On y va à pleins poumons, même en ‘‘schpounz’’ sans rien connaître de la prononciation et en bouffant les mots.

Suivent plusieurs autres chants en alternance, en français et en deutsche, jusqu’à l’assaut des serveuses qui débarquent en virevoltant, un large plateau sur chaque main. D’un seul geste, en un tournemain, les tartes flambées glissent sur les plaques disposées sur les tables. Bon appétit ! Les suivantes ne tarderont pas. Des pognes expertes manient les couteaux circulaires découpant les fines feuilles de pâte en parts à peu près égales et en quelques secondes tout le monde est servi. Encore quelques autres, et les assiettes sont à nouveau vides.
Le manège se répète7 fois, avec en priorité des tartes dites normales, puis les dernières présentant quelques variantes, aux légumes du soleil où au munster. Quant au pinard : pineau noir et ‘‘Edelswicker’’ blanc, il attendait, déjà sur les tables. C’est pendant le dessert (meringue glacée) que les chants reprennent et terminent la soirée.  

À 22h45, les chanteurs se taisent, les rires et clameurs s’étranglent et tout le monde se lève pour regagner les cars qui attendent devant le restaurant.
Ainsi s’achève cette première journée qui a donné le tournis et donnera le ton pour les deux suivantes.


2ème journée : samedi 22 juillet  

Passons vite sur la nuit, pour certains elle fut bonne, pour d’autres… un peu moins; nous n’avons plus l’âge d’être gymnaste, et encore moins acrobate.  

Lever à 6h45 ; toilette de réveil, comme un chat, mais moins appliqué que lui. Une bonne aspersion d’eau froide suffira !
Les tables du petit-déjeuner sont dressées depuis la veille dans la salle de restaurant de l’annexe, placée à une porte du bar improvisé. Il sonne 7h au clocher voisin lorsque nous nous glissons dans une rangée, au bout le bout des quelques uns déjà assis. Le service du café se fait à table, promptement et sûrement. Petit-déj. à la française, pain beurre et confiote… Ce sont les Allemands qui vont la trouver dure, eux habitués à la charcuterie et aux œufs brouillés.
Consigne : ne pas s’attarder à table car les cars démarrent à 8h30 pétant. Prêts et dans la cour depuis 8h, fébriles nous attendons ; quoi ? la distribution des sandwiches de midi, qui tarde à débuter. Deux tables interposées en travers de l’accès au réfectoire sont toujours désespérément vides.
Subitement, les portes sont poussées et des cartons pleins portés à bout de bras sont précipités et alignés sur les tréteaux. « Faites la queue s’il vous plaît ! » Message traduit en allemand : « …………… ». Les acteurs se précipitent à quatre pour assurer la distribution : un premier refile un sachet cartonné, le second y glisse une demi-baguette (de pain frais, jambon et fromage), le suivant y jette une pomme et le dernier tend une topette d’eau de source, d’Alsace comme il se doit !  

En route ! Trois bus comme hier et direction ‘‘Barr’’, toujours au nord, cœur du vignoble en piémont vosgien, à 22 km de Châtenois. Débarquement à 9h, mais au mauvais endroit, à un kilomètre du point de chute prévu. La vingtaine de non-marcheurs, comme tous les autres, se taperont un parcours imprévu et improvisé pour accéder à la sortie de Barr, face au restaurant encavé : ‘‘La Folie Marco’’. 150 ‘‘vieux’’ gamins en goguette, il y a de quoi boucher la circulation et affoler tous les conducteurs devant l’étranglement routier produit.  

En avant marche ! Comme hier, nous effaçons quelques maisons, l’extrémité de la courte rue puis sans transition, les vignes, des fourrés et le début du bois. Nous n’irons pas plus avant dans l’immédiat car en face de nous se dresse un monument ; celui du fondateur du ‘‘Club Vosgien de Barr’’. Spontanément, le chant des pèlerins retentit et, le dernier trémolo allemand à peine étouffé, nous nous relançons.
Il est important de préciser ici que le ‘‘Chemin de Compostelle’’ balisé par l’association qui nous reçoit quitte le ‘‘Mont Sainte-Odile’’ et dévale la montagne avant de s’engager au sud en s’orientant vers Barr. Paradoxalement, notre randonnée du jour depuis Barr prend une tout autre direction que le chemin inverse. Pourtant, que l’on ne s’y trompe pas, notre objectif avoué, c’est d’être au ‘‘Couvent du Mont Sainte-Odile’’ en début d’après-midi. « Nous monterons par une autre vallée », précise l’un des accompagnateurs en maillot bleu.  

Nous suivons donc le GR5, et il nous pilote sur un réseau de sentiers parfois étroits mais sans difficultés autres que quelques passages un peu relevés en évitant des dos de rochers arrondis. Ils effleurent à peine du sol recouvert de sable graniteux maculé de résidus de fleurs de châtaigniers, ces arbres se multipliant avec l’altitude qui augmente.
Les arrêts sont fréquents pour éviter une trop grande dispersion du troupeau, sécurité oblige.

Vers 11h, la troupe aborde une plateforme habillée d’herbages et dominée par un piton rocheux sur lequel s’accroche un château féodal ruiné dont subsistent encore de solides et tenaces vestiges : Nous voici au ‘‘Landsberg’’.
Quelques voix s’élèvent quand le responsable déclare : « Nous mangerons ici. » Certains veulent poursuivre : « J’ai pas encore faim ! », entend-t-on, mais déjà, d’autres ont mordu dans leur sandwich et trouvé une pierre moussue pour s’asseoir.  

Une heure d’arrêt nous laisse le temps de faire disparaître la frugale pitance et ensuite de s’aventurer entre les murailles déchiquetées par les troupes du roi de France et les vicissitudes du temps… qui passe.
Coup de sifflet à 13h pile ; la colonne se reforme, s’ébroue et s’ébranle pour un sursaut qui s’affranchira des trois derniers kilomètres.
Progressivement, la pente se courbe et s’aplanit ; nous coupons des petites routes, la futaie s’éclaircit et nous pénétrons dans une féerie minérale de rochers rouges ponctués de grains roses ou blancs. « C’est une variété de ‘‘poudingue’’, déclare un accompagnant, nous sommes presque arrivés ».  

C’est vrai, nous rencontrons d’autres marcheurs qui baguenaudent. Une petite élévation s’interpose, vite franchie, et un par un nous nous glissons entre deux rocs colossaux pour sauter sur la chaussée. Droit devant, à cent mètres à peine s’ouvre une large allée au bout de laquelle se dresse la façade du ‘‘Couvent du Mont Sainte-Odile’’. L’altitude de l’esplanade sommitale est mesurée à 764 mètres ; nous nous sommes élevés de 570 en parcourant 8,5 km.  

Une autre journée commence, celle de la découverte du site. Les ordres fusent ! « Groupir, restez groupir ! » Il s’agit de partager la bande en deux parties à peu près égales : D’un côté les Allemands et ceux qui comprennent leur langue ; de l’autre, tous les autres. Le but, c’est d’envoyer un groupe visiter le couvent pendant que l’autre part à la découverte d’une particularité mystique et mythique de la montagne, l’ancien ‘‘Hohenbourg’’, haut lieu de l’ésotérisme qui forme avec le ‘‘Donon’’ et le ‘‘Champ du Feu’’ un triangle où les ondes ‘‘cosmo telluriques’’ sont au maximum de leur intensité positive, donc bienfaisantes et énergisantes.
Les handicapés ne connaissant pas l’allemand – dont nous sommes – se taperont donc le ‘‘Mur Païen’’, traces monumentales d’occupations perdues dans des ères oubliées.  

Le Mur Païen  

L’érudit qui nous conduit, harangue son auditoire !
Le Mur Païen mesure environ 10 kilomètres de long et fait le tour de la montagne. Rassurez-vous, nous n’en ferons que deux et ce sera suffisant. Ne demandez surtout pas qui l’a réalisé et quand. Personne n’en sait rien ! Ce que je dis ne sont que des conjectures, des suppositions d’archéologues basées sur leurs connaissances du peuplement de la région. La seule certitude que l’on peut affirmer est tirée de l’observation : Il y a deux époques distinctes de construction ; c’est tout. Les bases des murs, constituées de blocs pesant plusieurs tonnes remontent à 4000 ans avant Jésus Christ, mais pourrait aussi bien remonter à la nuit des temps. Certains de ces blocs possèdent des anneaux de fer scellés dans la masse et l’on dit même que c’était pour y accrocher les bateaux. Vous voyez le tableau ! Au dessus, les plus récentes – petites et pesant moins de 100 kilos – se tiennent entre-elles par des tenons en bois taillés en queue d’aronde pour garantir la cohésion de l’ensemble. La datation du bois par le carbone 14 les fait remonter à 2000 ans et un peu plus. Plus de 2000 ans, c’est donc avant la naissance du Christ, c’est pourquoi, pour le désigner, qu’on lui donna le nom de ‘‘païen’’.

  • Allons voir ça ! 

Nous entrons dans la forêt comme nous en sommes sortis, pour retrouver de suite le spectacle des falaises de grès truffées de graviers de différents minéraux dont le quartz. Un sentier tortueux se coule contre cette fameuse paroi qui pouvait servir d’enceinte protectrice. Notre cicérone s’arrête souvent pour montrer des singularités qui nous échappent, la différenciation des différentes époques d’édification. Les brèches, nombreuses, sont les conséquences du pillage par les habitants de la plaine, les pierres les plus commodes à soutirer – les moins lourdes – étant délestées en premier, juste un emprunt pour d’autres fins. Il n’en reste pas moins que certains ensembles sont spectaculaires.

Après s’être approché de la zone du crash catastrophique de l’Airbus dans les années 1990, nous bouclons la visite en revenant à l’entrée du couvent.  

Le couvent  

Vers 16h, nous échangeons les rôles. C’est à notre tour de parcourir les salles et dépendances, en partageant encore en deux le groupe que nous formons. Avec une trentaine d’autres, nous partons en premier en suivant une guide authentique qui nous bloque devant le magasin de souvenir, juste après avoir débouché d’un corridor pour accéder à l’avant-cour. Le temps de compter ses auditeurs, bondir et ressortir de la boutique avec un panier chargé du nombre exact de récepteurs à oreillettes. Après plusieurs vaines tentatives de se clouter les portugaises, les écouteurs tiennent enfin dans les conduits dilatés.

« Vous m’entendez tous bien ? Oui, alors, suivez-moi ! »

La cour est traversée et nous pénétrons dans une galerie en s’arrêtant devant une tapisserie qui retrace la vie de ‘‘Sainte-Odile’’, sainte patronne de l’Alsace.
En résumé, Odile est l’aînée d’une fratrie ayant pour géniteur le cruel Duc d’Alsace ‘‘Adalric’’. Née aveugle en 660, son père la répudie et décide de la tuer, à moins qu’elle disparaisse. Soustrait à son courroux meurtrier, le bébé fut emmené chez une nourrice, puis en l’éloignant davantage, à Baume les Dames dans un monastère où la fillette grandit en étudiant, malgré sa cécité. La fille avait douze ans quand un évêque allemand reçut en songe divin l’ordre d’aller la baptiser ; ce qu’il fit et par miracle, elle se mit à voir.
Après bien des années et une multitude de péripéties picaresques, devant la force d’âme et les capacités exceptionnelles de sa fille, Adalric se laissa fléchir et offrit à Odile toutes les dépendances du Hohenbourg pour qu’elle y fonde un monastère et prie pour lui.  

La balade commentée se poursuit par le cloître jardin puis, la chapelle du tombeau de la sainte où le silence est de rigueur. La guide ne reprend la parole qu’en entrant dans l’église par une porte intérieure. À sa suite, nous en sortons à l’extérieur pour contourner l’édifice et s’engager sur un étroit passage en limite de précipice. Devant nous, à perte de vue la plaine se déploie. Au-dessus de nous, perchée au sommet d’une tour, Odile, bras droit levé (le gauche tient sa crosse de chanoinesse) bénit l’Alsace.
Question pertinente (ou idiote, comme on veut) : Étend-t-elle sa bienveillance aux territoires – dont elle tourne le dos -, que l’administration française vient d’adjoindre à l’Alsace pour augmenter le poids financier d’une nouvelle entité qui ne satisfait personne ? La pauvre Odile a-t-elle le bras assez long pour embrasser autant de territoires ?

Terminant la tournée, nous débouchons sur l’arrière du couvent, parc jardin où deux chapelles fermées au public se tiennent à l’écart. Tout contre les remparts, se terre la ‘‘Chapelle des Larmes’’ ; légèrement détachée, voici la ‘‘Chapelle des Anges’’.
Tout le centre de l’esplanade est occupé par des rangées de bancs. Devant, sur une estrade bétonnée, des dais de toile couvrent l’ensemble du dispositif disposé pour la messe de demain dimanche.
Nous revenons vers l’entrée principale pour rendre nos appareils électroniques ; les groupes se refondent et nous retrouvons les bus qui sont venus prendre. Il est 16h30, au gîte de Châtenois quand nous reprenons possession de nos chambres.

La suite se déroulera sur place à 19h avec le repas suivi d’une animation, mais avant cela, pour occuper le temps libre de cette dernière fin de journée conviviale, le service de boisson est appelé à fournir à flot continu, pour peu que l’équipe chargé d’ouvrir les bouteilles puissent trouver un deuxième tire-bouchon. Un camion cuisine est dans l’allée et les effluves qui s’en dégagent indiquent clairement que le repas sera basé sur des produits de la mer.

Tous attablés à l’heure dite, nous attendons la suite, qui survient sous la forme d’une info précise et impérieuse :
« Première rangée de tables, levez-vous, sortez en prenant une assiette et allez au camion. Quand la moitié des occupants de la première seront revenus, la seconde rangée fera de même et ainsi de suite. »
C’est difficile à croire, mais la méthode se révèle efficace et ne provoque pas d’embouteillages. Lorsqu’un client arrive à hauteur du camion un ‘‘maître d’hôtel’’ l’oriente vers l’un des trois serveurs qui opèrent depuis leur bahut, chacun derrière une immense platée de paella ; chrono en main, 10 secondes pour garnir l’assiette de deux louches de riz, un pilon de poulet, une langoustine, une demi-douzaine de moules et deux crevettes. Le mouvement rotatif est ininterrompu : en dix minutes tout le monde boulotte à se bâfrer. Seul le service des boissons (payantes) est un peu à la ramasse pourtant, un deuxième tire-bouchon vient d’être livré.
Ensuite, des petits desserts circulent de mains en mains depuis le bord de l’allée puis, quand la chorale entonne le chant des pèlerins en entraînant la foule, chacun se rend compte que la soirée change de forme alors qu’en fond de salle, un écran s’allume, s’illuminant d’une myriade d’images. Un diaporama détaille du nord au sud l’ensemble du ‘‘Chemin d’Alsace’’ que chacun commente selon sa propre expérience. Une musique variée, sans trop de rapport avec les photos, accompagne le défilé des prises de vues.

À 22h, tout est terminé, il ne reste que les membres de l’association organisatrice qui resteront au boulot jusqu’à tard dans la nuit pour débarrasser, nettoyer et préparer les tables du petit-déjeuner qui arrivera très vite.


3ème et dernière journée : dimanche 23 juillet  

7h15 ; c’est le branle-bas, combat avec les valises et cabas qu’il faut réorganiser et boucler sans rien oublier. Ce matin, petit-déjeuner expédié, quitter la chambre, c’est aussi remettre les clés à la réception. Avant de grimper dans les cars pour une dernière excursion et incursion au Mont Sainte-Odile, il convient de se désencombrer de tout ce qui ne servira pas. Un sac à dos justement fourni servira seul au besoin de la matinée. Le reste est donc remisé dans notre véhicule, prêt à prendre le relais quand viendra le temps de la séparation.

Ce matin, seuls deux cars bondés prennent la route de la montagne. Pour ceux qui auraient rempli le troisième, il est plus commode d’utiliser leur voiture pour ne pas avoir à revenir à Châtenois au terme du programme de ces fêtes ; c’est le cas des lorrains par exemple. Pour les transportés, départ à 9h et arrivée à 9h45.
Rassemblement devant l’entrée principale du couvent ; pourquoi cet endroit précisément ? C’est le point de départ du sentier qui conduit à la ‘‘Source Sainte-Odile’’, miraculeuse pour les uns, bienfaisante pour les autres, seulement ‘‘bonne à boire’’ pour les indécrottables sceptiques. Un miracle est en effet à l’origine de cette source. Pour guérir de sa cécité un aveugle qui ne parvenait pas à accéder au sommet du Hohenbourg, Odile invoqua des instances hautement supérieures et de l’eau se mit à couler de la roche. La Sainte lui lava les yeux et il se mit à voir. Depuis, les pèlerins, et encore de nos jours les visiteurs, descendent à la source et font provision de ce ‘‘précieux’’ liquide.

Pour revenir à l’instant présent : le mot d’ordre est :
« Ceux qui veulent descendre à la source me suivent, les autres ont quartier libre jusqu’à 11h15. À cette heure précise, tout le monde se retrouve pour la messe en plein air derrière le couvent. »

Nous prenons le parti de suivre le guide, ou même de le précéder pour se détacher de la meute en dévalant le large sentier en lacet courant sous les châtaigniers. La pente est raide, mais de nombreux degrés faciles à sauter viennent en aide et rendent la descente (dénivelé de près de cent mètres tout de même) agréable et sans risques. Les premiers arrivés à la fontaine protégée par une grille, ont tout le temps de remplir leurs bouteilles au bec verseur dérivé du captage et scellé dans le pan de rocher. Il était d’usage de jeter une pièce de monnaie dans le bassin protégé, mais cette coutume se perd ; de nos jours on ne jette plus l’argent que par les fenêtres.

De cet endroit, nous sommes à mi-chemin d’une autre abbaye fondée par Odile pour ceux qui n’avait pas la capacité de monter jusqu’au sommet, mais de ‘‘Niedermunster’’ il ne reste que le souvenir et quelques pierres.
« Pour remonter, il y a deux solutions, avertit l’accompagnateur, soit vous reprenez le chemin en sens inverse, soit vous suivez la route. C’est un peu plus long car elle contourne la crête en montant régulièrement, mais seulement, restez sur les bords et faites attention aux vélos qui descendent et peuvent être surpris. »

Par cette route forestière débouchant près de l’entrée principale du couvent, le retour s’avère facile. Il n’est que 11h, mais il faut déjà fendre la foule pour venir attendre à l’endroit de l’église improvisée. Et c’est encore tôt pour se poser sur l’un des nombreux bancs qui commencent à se remplir.
La chorale des ‘‘Amis de Saint-Jacques’’, déjà en place sur des plateaux ‘‘praticables’’ surélevés répètent les chants religieux et les réponses d’usage.

La messe commence à 11h30, célébrée par une équipe de cinq religieux avec à leur tête l’évêque auxiliaire de Strasbourg ‘‘Monseigneur Kratz’’, mitre pointant haut et crosse (tournée vers l’extérieur) à la main. L’assistance est nombreuse, remplissant les bancs ou se répandant sous les arbres et pans de murs accessibles.
La fin de l’office est close par l’inévitable chant des pèlerins : ‘‘Ultreia…’’ puis tous les membres des associations de Compostelle participant à la fête se rendent à l’intérieur du bâtiment, cherchant la salle de restauration réservée au repas de clôture.

C’est une assemblée bruyante, joyeuse et peut-être affamée qui remplit l’un des restaurants de l’hôtellerie du Mont Saint-Odile. Le vin est déjà sur les tables quand arrive le plat unique composant le menu :
On nous sert sur assiette une énorme (ce sont les yeux autant que le ventre qui réagissent) bouchée à la reine débordante d’une sauce onctueuse à en noyer les ‘‘spaetzles’’ qui lui font la cour… et il y a du rab à s’en faire péter la ceinture. Que c’est bon ! Absolument rien à voir avec les insipides ‘‘bourrées à la chaîne’’ produites industriellement et vendues dans les grandes surfaces.
Le dessert qui arrive juste après en est machinalement effacé, vite oublié.  

La fête est terminée, un dernier rassemblement à l’extérieur des murs permet de se dire au revoir, de chanter le chant de circonstance et de faire une photo de groupe.
Les cars ramassent une ultime fois leurs passagers, redescendent la montagne sacrée et reviennent à leur point de départ.
Saisissant l’aubaine de partager et faire durer de quelques instants supplémentaires ces temps forts qui précèdent toutes séparations, nous ‘‘trainaillons’’ avec les amis d’Alsace et les allemands qui saisissent l’occasion et balancent un scoop : Ils attendent tout le monde l’année prochaine pour la Saint Jacques qu’ils organisent… en Pologne.  


Ces trois jours sont maintenant terminés, il reste ce récit qui en rapporte les grandes lignes, expurgé de toutes considérations personnelles. Il est sans doute long, mais il se veut une revue complète de tous les faits et détails qui ont semblé marquants. Chacun des participants pourra tirer ses propres conclusions et critiques et à sa lecture déclencher et faire revivre des anecdotes personnelles. Quant à ceux qui parcourront quelques lignes de ce récit reportage, qu’elles leur donnent le regret et l’impression d’avoir raté un événement.  

Un grand merci à l’Association des Amis de Saint-Jacques en Alsace pour leur accueil chaleureux et bravo pour une organisation parfaitement maîtrisée, magistralement menée, efficace et sans failles. Si quelques anicroches indépendantes de leur volonté sont apparues, les réactions immédiates ont apporté les corrections adéquates et immédiates sans aucun dérangement.

Une petite remarque amicale pourtant : Un barman sans tire-bouchon, c’est comme un soldat sans fusil…  

Texte : Guy Diemunsch – Photos : Danielle Brun-Vaunier, René Michaux


Post-scriptum

Merci les Amis Alsaciens de cette organisation sans faille.
Un rassemblement de plus de 150 personnes pour fêter la Saint Jacques, une belle fête !
Quelle énergie dépensée par tous les membres de l’association pour être à nos petits soins. Nous avons pu goûter à toutes les nourritures, culturelles, spirituelles et plus terrestres. Le tout avec des randonnées pleines de sens où nous avons partagé notre joie sous le soleil.

Dès à présent, annotez vos agendas 2024, la fête de la Saint-Jacques aura lieu en Pologne, son organisation est en cours.
Nous vous informerons de l’avancée de ce projet.

Danielle Brun-Vaunier

Cet article a 2 commentaires

  1. Humbert

    Magnifique récit bien imagé ; de la belle littérature !
    Félicitations aux auteurs.

  2. Bourdon Patricia

    Bonjour je me suis régalée avec ce chouette article au Mont St Odile. Un grand merci à vous. Je n’ai pu y être que le dimanche mais c’était vraiment une réussite avec un comité jacquaite alsacien parfait. Merci pour ce Bel article.

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