Notre feuilleton amène réflexions, correspondances, souvenirs. En voici quelques-uns.
« Aimons-nous vivants ! », était la conclusion du poème « L’Humanité ébranlée et la société effondrée par un petit machin » de Moustapha Dahleb paru dans notre lettre du 8 avril. Ce qui a rappelé à Daniel Souchet « une inscription, vue sur un tombeau à Madagascar, qui rejoint la conclusion de ce beau poème car elle signifie, m’a-t-on dit alors : aimez-vous pendant que vous vivez ».
Le texte de Régis Cristin, « Le lavement de pied », paru hier, a évoqué chez plusieurs d’entre vous un moment sensible vécu sur le chemin de Compostelle dans le Lot, après Cahors.
Cela m’a fait penser à un événement marquant vécu sur le Chemin. Voici :
Bernard Umber
Le 5 octobre 2002 entre Cahors et Lauzerte je me suis arrêté à Lascabannes, tout petit village perdu. Le gîte était attenant à une chapelle romane rénovée. Nous étions quelques-uns dans ce gîte bien aménagé qui, me semble-t-il, avait été voulu par la municipalité. A une certaine heure était proposé dans la chapelle un temps de méditation … Le plus extraordinaire c’est qu’en y participant et sans le savoir à l’avance nous était proposé aussi le lavement des pieds. C’est la seule fois que cela m’est arrivé sur tant de kilomètres parcourus. C’est dire que ce geste d’accueil et d’hospitalité si antique m’a fortement ému et marqué. L’auteur de ce geste, autant que je me souvienne, était un prêtre de la Mission de France.
En 2003, lors d’une étape dans un petit village, Lascabanes, j’ai entendu les cloches. Je suis allée à l’église, il y a eu le lavement des pieds, je n’en revenais pas, cela m’a vraiment émue, c’était un signe d’accueil, de partage, un beau symbole.
Claudine Socié
Le 26 août 2012 lors de mon pèlerinage, je me suis arrêté à Lascabanes où j’ai trouvé un excellent accueil au gite “les nids d’anges”. A l’église le soir, cérémonie du lavement de pieds avant la messe… Lavement plutôt symbolique mais le geste méritait réflexion. Le Père officiant me faisait penser aux moines de Tibérine.
Jean Sordelet
Trois bonnes réponses seulement à la photo mystère de Daniel Putaud (Il aurait pu y en avoir plus à la lecture de l’excellent guide « le chemin de Saint-Jacques de Compostelle en Franche-Comté et en Bourgogne » édité par notre association !).
L’étape Chagny-Moroges est cependant bien restée en tête des trois gagnants :
Claudine Socié : « C’est avant Rully, j’en suis sûre…. »
Gérard Levaufre : «C’est à Rully, rue St Jacques, à côté du domaine St Jacques ! J’avais fait demi-tour car je ne l’avais pas trouvée initialement ….il faisait très chaud mais je ne me suis pas arrêté au domaine ! »
Annie Carisey : « on dirait bien la petite statue de Rully si mes souvenirs sont bons.
Il y a cinq années, le 8 avril, nous prenions le départ de ce mythique chemin, qui allait changer ma vie et la marquer à tout jamais. Il faisait le même ciel bleu qu’aujourd’hui mais la nature était moins en avance, car dans les forêts saônoises les pulmonaires, les primevères jaunes que l’on appelle coucou, les anémones nous offraient un tapis multicolore. Enfin je m’avance peut être car avec le confinement on ne peut admirer la forêt et peut être est-elle encore fleurie ? La première journée nous a emmené de Dambenois à Saulnot et nous a permis de découvrir des villages que nous traversions en voiture depuis des années, la lenteur du pas nous a offert de belles découvertes, cela promettait pour l’avenir de ces trois mois de déambulation de jolis moments ».
et ci-dessous, la quinzième étape de notre feuilleton quotidien « Péleriner confinés » par Denise Péricard-Méa.
Nicole
Péleriner confiné, étape n° 15
Un pèlerinage pénitentiel commué
L’étape 12 nous a permis de croiser de pauvres hères, condamnés à un pèlerinage pénitentiel pour avoir tué un abbé menteur qui cherchait à leur voler des terres. Nous changeons aujourd’hui de classe sociale à la rencontre d’un vrai mauvais garçon.
Un fils de famille dans la bande à Villon
Regnier est « escholier » à Paris, au XVe siècle. Laissé à lui-même il fréquente les groupes d’étudiants turbulents qui troublent gravement l’ordre public. Parmi eux, le poète François Villon. En 1452, Regnier est banni pour avoir rossé deux sergents du guet à la porte de « l’ostel de la grosse Margot ». Il quitte Paris et continue ses méfaits. Il est emprisonné successivement à Rouen, Tours, Bordeaux, Poitiers, chaque fois pour des délits différents, vols dans les églises, achats frauduleux, tricherie au jeu.
Regnier de Montigny est fils de Jean de Montigny, pannetier du roi. Il avait suivi Charles VII, « petit roi de Bourges », dans son exil. Né en cette ville en 1429, Regnier y vécut jusqu’en 1437, date à laquelle sa famille suivit le roi qui rentrait à Paris. Pendant l’exil, son père avait tout perdu de ses biens parisiens. Il en mourut de désespoir, laissant une famille dans le besoin. C’est ainsi que Regnier s’est retrouvé à la rue, fréquentant les mauvais garçons.
Clémence royale pour le fils d’un noble serviteur
Ses séjours en prison ne l’amendent pas et il poursuit ses méfaits, jusqu’à être compromis dans un meurtre. Il est, en sa qualité de « clerc », réclamé par l’évêque de Paris.
Mais, cette réclamation n’ayant pas été suivie, il est déféré au tribunal civil qui le condamne à mort.
Il en appelle au Parlement.
Sa famille et ses amis sollicitent pour lui une lettre de rémission. Ils mettent en avant la grossesse de sa jeune sœur qui pourrait mourir de ce déshonneur, ainsi que son enfant. Ils vont même jusqu’à s’engager à le surveiller pour l’empêcher de reprendre une vie de débauche, due essentiellement à sa jeunesse et à sa pauvreté.
Ému, le roi le gracie en septembre 1457, en mémoire de la fidélité de son père pendant l’adversité. Dans la lettre de rémission, il souligne que « la plupart (de ses amis) sont gens d’État et nos officiers ».
Une année fatale
Les conditions de la rémission sont les suivantes : encore une année en prison « au pain et à l’eau » suivie d’un départ à « Saint Jaques en Galice et en rapporte certification du maître de l’église de Saint-Jaques ».
Cette année lui fut fatale car le Parlement déclara la rémission entachée de nullité après la découverte de l’omission par sa famille de certains cas graves.
Un peu plus tard Villon, dans la ballade n°2 de son Jargon et Jobelin écrite en argot raconte la triste fin de Regnier et conseille à ses amis :
Coquillards changez souvent d’habits, et tirez tout droit au Temple.
Évitez, partant d’ici, que le vent votre cape n’enfle (comme il le fait aux pendus).
Montigny fut soufflé en haut (pendu à Montfaucon, près du Temple)
Le nœud (de la corde) lui provoqua l’angine
Bien qu’il y cria « au secours » au tremolo (3 fois)
Le bourreau lui rompit le cou.
Plusieurs coquillards furent arrêtés vers 1455 et « questionnés » pour livrer des noms.
L’un des plus bavards, Perreret le Fournier, barbier, en désigna une soixantaine, dont Regnier de Montigny. En marge de son nom, le procureur a ajouté « mort et pendu ».
Honte de sa noble famille, Regnier de Montigny était bel et bien un individu dangereux. Il pouvait récidiver. C’est un risque que n’a pas pris la justice. Preuve que l’on n’envoie en pèlerinage pénitentiel que des meurtriers par accident qui ne mettent pas la Société en danger.
Denise Péricard-Méa
demain, le mot : Coquillard
retour à la première étape : Jérôme Münzer part précipitamment de Nüremberg